Paroles de la chanson Réquisitoire contre Robert Dhéry par Pierre Desproges
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Paroles de la chanson Réquisitoire contre Robert Dhéry par Pierre Desproges
Réquisitoire contre Robert Dhéry
5 novembre 1982
Françaises, Français,
Belges, Belges,
Territoires d'outre-Mer, territoires d'outre-Père,
Cher Massif central,
Chère Péninsule ibérique,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.
Je dois en convenir : dans cette affaire Robert Dhéry, l'instruction a été menée tam-bour battant. Quand je dis qu'elle a été menée tambour battant, je veux dire que le juge d'ins-truction, qui fait majorette dans la fanfare de Saint-Flagrand-les-Deux-Délires, n'a pas pu me communiquer le dossier à temps, trop occupée qu'elle était à se secouer les deux baguettes dans le rantanplan, à cause des répétitions de la fête du jumelage entre Chaud-de-Fond et Villers-de-Lance (ou Chaude-Lance avec Villers-de-Fond ?) Que faire alors ? Pousserai-je le mauvais goût jusqu'à parler d'autre chose que du sujet qui nous préoccupe tous aujourd'hui ? Je vais me gêner !
5 novembre 1982
Françaises, Français,
Belges, Belges,
Territoires d'outre-Mer, territoires d'outre-Père,
Cher Massif central,
Chère Péninsule ibérique,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.
Je dois en convenir : dans cette affaire Robert Dhéry, l'instruction a été menée tam-bour battant. Quand je dis qu'elle a été menée tambour battant, je veux dire que le juge d'ins-truction, qui fait majorette dans la fanfare de Saint-Flagrand-les-Deux-Délires, n'a pas pu me communiquer le dossier à temps, trop occupée qu'elle était à se secouer les deux baguettes dans le rantanplan, à cause des répétitions de la fête du jumelage entre Chaud-de-Fond et Villers-de-Lance (ou Chaude-Lance avec Villers-de-Fond ?) Que faire alors ? Pousserai-je le mauvais goût jusqu'à parler d'autre chose que du sujet qui nous préoccupe tous aujourd'hui ? Je vais me gêner !
Je pense qu'il est temps pour nous de nous rappeler
Jonathan Sifflé-Ceutrin, qui est l'inventeur du pain pour saucer.
Il y a les inventeurs lumineux, dont la gloire fracassante résonne longtemps après eux à travers les plaines infinies de la connaissance humaine. Et puis il y a les inventeurs obscurs, les génies de l'ombre, qui traversent la vie sans bruit et s'effacent à jamais sans que la moindre reconnaissance posthume vienne apaiser les tourments éternels de leur âme errante qui gémit aux vents mauvais de l'infernal séjour, sa désespérance écorchée aux griffes glacées d'ingratitude d'un monde au ventre mou sans chaleur ni tendresse.
Parmi ces besogneux du progrès, ces gagne-petit de la connaissance, qui ont contribué sans bruit à faire progresser l'humanité de l'âge des cavernes obscurantiste à l'ère lumineuse de la bombe à neutrons, comment ne pas prendre le temps d'une pensée émue pour nous souvenir de Jonathan Sifflé-Ceutrin, l'humble et génial inventeur du pain pour saucer ?
Jonathan Sifflé-Ceutrin, dont le bicentenaire des deux cents ans remonte à deux siècles, est né le 4 décembre 1782 à Saçufî-les-Gonesses, au cœur de la Bourgogne gastronomique, dans une famille de sauciers éminents. Son père était gribichier-mayonniste du roi, et sa mère, Catherine de Médussel, n'était autre que la propre fille du comte Innu de Touiller-Connard, qui fit sensation, le soir du réveillon 1779 à la cour de Versailles en servant la laitue avec une nouvelle vinaigrette tellement savoureuse que Marie-Antoinette le fit mander le lendemain à Trianon pour connaître son secret.
Jonathan Sifflé-Ceutrin, dont le bicentenaire des deux cents ans remonte à deux siècles, est né le 4 décembre 1782 à Saçufî-les-Gonesses, au cœur de la Bourgogne gastronomique, dans une famille de sauciers éminents. Son père était gribichier-mayonniste du roi, et sa mère, Catherine de Médussel, n'était autre que la propre fille du comte Innu de Touiller-Connard, qui fit sensation, le soir du réveillon 1779 à la cour de Versailles en servant la laitue avec une nouvelle vinaigrette tellement savoureuse que Marie-Antoinette le fit mander le lendemain à Trianon pour connaître son secret.
« C'est tout simple, Majesté. Pour changer, j'ai remplacé le chocolat en poudre par du poivre !
- Voilà qui est bien, comte Innu de Touiller-Connard. Continue, je te dis. Oh oui, c'est bon. Oh la la, oh oui. »
Bien évidemment, l'enfance du petit Jonathan Sifflé-Ceutrin baigna tout entière dans la sauce. Debout sur un tabouret, près des fourneaux de fonte où ronflait un feu d'enfer, il ne se lassait jamais de regarder son père barattant les jus délicieux à grands coups de cuillère en bois, tan-dis que sa mère, penchée sur d'immenses poêlons de cuivre rouge, déglaçait à petites rasades de vieux cognac le sang bruni et les graisses rares des oies du Périgord dont les luxuriantes senteurs veloutées se mêlaient aux graciles effluves des herbes fines pour nous éblouir l'odorat jusqu'à la douleur exquise des faims dévorantes point encore assouvies. Hélas, au moment du repas, la joie pré-stomacale de Jonathan se muait invariablement en détresse. Quand il avait fini d'avaler en ronronnant l'ultime parcelle de chair tendre que son couteau fébrile arrachait au cuissot du gibier, il restait là, médusé, pantelant de rage et boursouflé d'une intolérable frustration devant le spectacle insupportable de toute cette bonne sauce qui se figeait doucement dans son assiette, à quelques pouces de ses papilles mouillées de désir et de sa luette offerte, frissonnante d'envie, au creux de sa gorge moite dans l'attente infernale d'une bonne giclée du jus de la bête entre ses lèvres écartées.
En vérité, je vous le dis mes frères, il faut être végétarien ou socialiste pour ne pas com-prendre l'intensité du martyre qu'enduraient quotidiennement les malheureux gastronomes de ces temps obscurs. Soumis aux rigueurs d'un protocole draconien qui sévissait jusqu'au tréfonds des campagnes où le clergé avait réussi à l'imposer en arguant, comme toujours, la valeur rédemptrice de la souffrance, les malheureux dégustaient leurs plats de viandes en sauce à l'aide de la seule fourchette et du seul couteau, après qu'un décret papal de 1614 eut frappé d'hérésie l'usage de la cuillère.
Pour bien imaginer la cruauté d'une telle frustration, essayez vous-mêmes, misérables profiteurs repus de la gastronomie laxiste de ce siècle décadent, de saucer un jus de gigot à la pointe d'un couteau ou entre les dents d'une fourchette. C'est l'enfer ! C'est atroce ! C'est aussi définitivement intolérable qu'une nuit passée dans un poumon d'acier avec Carole Laure à poil couchée dessus !
Curieuse coïncidence, c'est le jour même de son vingtième anniversaire que Jonathan Sifflé-Ceutrin eut l'idée de sa vie, l'idée géniale qui allait transformer enfin le supplice tantalien du festin para-saucier en délices juteux inépuisables. C'était le 4 décembre 1802. Ce siècle avait deux ans. Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, et déjà Bonaparte perd sous Joséphine.
Jonathan soupait au Sanglier Chafouin, le restaurant en vogue du gratin consulaire, en compagnie d'une jeune camériste bonapartiste de gauche qu'il comptait culbuter au pousse-café. C'était un gueuleton banal : hors-d’œuvre variés, sangliers variés, fromage ou pain. Je dis bien « fromage ou pain ». On sait qu'il aura fallu attendre 1936 et le Front populaire pour que les travailleurs obtiennent conjointement, au prix de luttes admirables, les congés payés et les cantines d'usine avec fromage et pain. En mai 68, les responsables CGT qui s'essoufflaient dans leur cholestérol gorgé de Ricard, à la traîne des étudiants, voulurent ne pas être en reste et exigèrent des patrons la seule réforme logique après celle du fromage et pain : le remplacement de fromage ou dessert par le tant attendu fromage et dessert qui aurait dû normale-ment déboucher sur le vrai changement, c'est-à-dire l'abolition pure et simple de l'odieux dessert ou assiette en un nouveau dessert et assiette, stade ultime du progrès socialiste avant la réforme des réformes qui offrira aux travailleurs le véritable choix populaire que le grand frère soviétique a déjà mis en place : goulag ou lavage de cerveau.
Or donc, Jonathan Sifflé-Ceutrin finissait son sanglier Melba sauce au grand veneur quand le serveur, un ancien hippie de la campagne d'Egypte, gorgé d'herbes toxiques et de calva du Nil, laissa malencontreusement choir sa corbeille à pain sur la table où Jonathan commençait à baiser des yeux sa camarade pour oublier la sauce qui se figeait déjà et dans laquelle une énorme tranche de pain de campagne vint s'enliser dans grand floc grasseyant. « Bon sang mais c'est bien sûr ! » s'écria le jeune homme. Et, s'emparant d'une autre tranche moelleuse, il la tendit à sa compagne qui n'était autre que Marie Curry, créatrice de la sauce du même nom, et lui dit : « Marie, trempe ton pain, Marie, trempe ton pain dans la sauce. » Ce qu'elle fit bien sûr. Alors, miracle, le jus bien gras fut aspiré Soudain par la mie que la jeune femme s'écrasa sur la gueule en happant comme une bête goulue, et la bonne graisse vineuse à la crème beurrée à l'huile de saindoux margarinien saturée de vin chaud à l'alcool à brûler du père Mgloire lui envahit divinement l'estomac dont le joyeux cancer naissant n'en demandait pas tant.
Jonathan Sifflé-Ceutrin venait d'inventer le pain pour saucer. Vingt-cinq ans plus tard, son fils Léon déposa le brevet du pain pour pousser et c'est en 1869 que son gendre Jean-Louis Four-nier-Gaspard inventa conjointement la mouillette et le rat à la coque dont les communards furent si friands.
Donc Robert Dhéry est coupable, mais son avocat vous le dira mieux que moi !
Robert Dhéry: Les Branquignols - qu'il dirigeait - prouvent qu'un certain comique peut triompher dans le monde entier pendant de nombreuses années et paraître soudain con à pleurer.
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