Paroles de la chanson Le Camp Des Russes par Serge Teyssot Gay

Auteurs: Hyvernaud

Compositeurs: Teyssot Gay

Editeurs: Universal Music Publishing,Serge Teyssot Gay,Georges Hyvernaud

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Paroles de la chanson Le Camp Des Russes par Serge Teyssot Gay

Le camp des Russes est à trois cents mètres
du nôtre. Notre passe-temps, cet été-là, ce fut
de regarder enterrer les Russes. Un travail
très monotone. Traîner la charrette pleine de
morts. En tirer les morts. Jeter les morts dans
la fosse. Recommencer. Toute la journée
comme ça. Toute la journée à remuer du
mort. Dans cette plaine de soleil et de sable.
Toute la journée à balader cette charrette
déglinguée entre le camp et la fosse. Les
vivants qui faisaient cela n'étaient pas beaucoup
plus vivants que leurs morts : juste la vie
qu'il faut pour marcher, pour pousser une peu,
pour tirer une peu. Des hommes sans regard.
Des hommes sans poids. Absents de tout. Et
pour les garder, les morts et les presque
morts, deux sentinelles sifflotantes. Deux
gars qui s'en foutaient. Faire ça ou autre
chose. Ils se disent que tout compte fait on
n'est pas plus mal là qu'au front. Là, dans le
sable et le soleil. De temps en temps ils
gueulaient des menaces. Ils flanquaient quelques
coups de croisse au petit bonheur. Pas
méchamment, plutôt parce que c'est ça leur
boulot. Et parce que quand même il fait bon
vire. D'ailleurs, les injures et les coups, ça ne
les atteint pas, les Russes. Ils sont comme ça.
Les russes, on se demande bien ce qui
pourrait encore les atteindre.

Ils font leurs pas. Ils font leurs gestes.
Mais ils ne sont plus
de ce côté-là des choses. Ils flottent avec une
lenteur surnaturelle dans un univers spectral.
Et c'est eux, ces vivants, qui font qu'on pense
à la mort. Pas les morts. Les morts sont
tellement morts qu'ils appartiennent déjà au
monte de la pierre, du bois. On se dit que
c'est lourd, que c'est froid, on ne se dit pas
que c'est de l'homme. Et puis il y en a trop,
des morts. Un cadavre, ça va. Devant un
cadavre inconnu, on rêve, on se répète de
vieux mots. Mais quand c'est des morts par
pleines charretées, par pleines fosses, et toute
la journée, et pendant des jours et des jours,
alors il n'y a plus pour cela de mots ni d'idées.
On ne peut plus que regarder. Des morts tout
nus, blancs, avec leur tête démanchée, leurs
bras disloqués qui pendent. Des morts enchevêtrés,
et c'était toute une affaire que de les
démêler, de les déboîter les uns des autres. Et
puis on les mettait sur un brancard. Leurs
bras balaçaient de chaque côté. Des morts si
maigres, à n'y pas croire. Les uns tachés de
sang noir, ceux que les Allemands avaient
tués à la mitrailleuse. Les autres barbouillés
d'excréments : ceux qui étaient morts de la
dysenterié. Les vivants avançaient à pas de
somnambule. Ils paraissaient se mouvoir dans
une substance invisible, affreusement épaisse
et pesante.

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